Esquisse de l’épidémiologie de l’insuffisance rénale chronique au Congo.

Le présent article ne constitue pas une étude exhaustive de l’insuffisance rénale chronique au Congo. Il saisit l’instantané de cette affection courante et très répandue au Congo en rapportant quelques aspects épidémiologiques. L’objectif de la présente démarche est de tirer la sonnette d’alarme sur la prise en charge de cette maladie qui peine à trouver des solutions viables dans ce pays.

Méthodologie : l’étude est basée sur l’observation, le recensement des insuffisants rénaux dialysés et les entretiens avec ces derniers. Le traitement statistique et analytique permet d’extrapoler les données partielles à la population congolaise. Pour cela, un échantillon de 115 patients a été retenu ; il s’agit de malades congolais, de toutes pathologies confondues, bénéficiant de traitement et résidant en France. L’article ne vise pas le monde scientifique, et moins encore les néphrologues congolais, conscients suffisamment de la gravité de cette affection dans la population congolaise. Il a pour but de sensibiliser l’opinion publique et les décideurs à œuvrer prestement pour arrêter l’hécatombe.

Présentation : 115 patients ayant bénéficié d’une évacuation sanitaire sont recensés actuellement par les services de l’ambassade du Congo à Paris. Parmi eux, on note une vingtaine (20) d’insuffisants rénaux chroniques dialysés. A ce nombre s’ajoutent les patients sous régime privé ou personnel non enregistrés à l'ambassade. Soit, en moyenne 25 congolais insuffisants rénaux dialysés en permanence en France. Ce sont exclusivement, sinon dans la majorité des cas, des adultes. On sait que l’insuffisance rénale chronique touche particulièrement les jeunes adultes vers l’âge de 50 ans, La prévalence de l’insuffisance rénale chronique chez les malades congolais résidant en France est de 22%. Les africains dialysés en France, toutes nationalités confondues, représentent environ 33% selon une étude personnelle réalisée en centre de dialyse. En appliquant le coefficient de correction et en rapportant ladite prévalence à la population congolaise, il apparaît que l’insuffisance rénale touche environ 14,74% de congolais. Ce qui représente en chiffre absolu un nombre de 442.200 malades probables ou potentiels au Congo. En République Démocratique du Congo, la prévalence est de 12,4% selon une étude de Sumaili E.K, Krzesinski J.M., et al. (Néphrologie &Thérapeutique, 2010, vol. 6, n°4, pp 232-239). La prévalence en RDC (12,4%) n’est pas significativement différente de la prévalence que j’ai estimée pour le Congo (14,74%). A titre de comparaison, au Congo, la prévalence de l’infection par le VIH était de 14% dans certaines régions au cours des années 1980 ; la prévalence nationale étant, à cette époque, de 7%. L’enquête nationale avait été réalisée selon la méthodologie d’échantillonnage par grappes proposée au directeur du Laboratoire national de santé publique par ma modeste personne, en tant qu’épidémiologiste, directeur de la médecine préventive de ces années-là. Depuis, on sait tout le bruit que l’on a fait pour mettre en exergue la lutte contre ce véritable problème de santé publique. On sait aussi l’engagement forcé ou volontaire de l’Etat dans la lutte et la prise en charge de l’infection par le VIH. On sait, enfin, combien la lutte contre le VIH constitue une des priorités sanitaires du Congo. Le ratio de l’insuffisance rénale chronique, au Congo donne le vertige. Il dépasse celui de l’infection VIH. 150 congolais sur 1000 contre 70 pour 1000 pour le VIH sont atteints de cette maladie invalidante sans avoir accès aux soins dans leur propre pays.

Il ne fait aucun doute, l'insuffisance rénale chronique est un véritable problème de santé publique au Congo. Rien n’est fait cependant à court ou à moyen terme pour y remédier. Silence radio, silence de mort ! On préfère les morts. Ici, on les adore. Une triste, minable et macabre coutume. Est-ce une coutume ou une déviance, une idiotie ou une croyance ? Quoi qu’il en soit, le drame du Congo se joue au vu de tous, notamment ceux qui ont en charge la santé de la population, Les insuffisants rénaux meurent dans l’indifférence totale. Tous les 442.200 malades estimés dans la présente étude ne sont pas, bien sûr, dépistés. Quand ils le sont, c’est à un stade avancé de la maladie. Plus rien à faire sauf le traitement de suppléance rénale par hémodialyse ou dialyse péritonéale. Parmi ces 442.200 malades, seuls 0,008 % (35 malades environ) bénéficient d’un traitement de suppléance rénale à l’étranger. Autrement dit, 1 malade sur 1105 (estimation) est pris en charge efficacement. Ce qui est dérisoire et risible pour mon pays, le Congo. Comment dans cette situation ne pas parler d'hécatombe et de l’indifférence des pouvoirs publics ? Pourquoi ailleurs, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, au Bénin,…bref, dans beaucoup de pays africains, y compris les pays plus pauvres que le Congo, pourquoi, dis-je, dans ces pays les insuffisants rénaux dialysés ont accès à des soins de qualité ? Sont-ils mieux nantis que le Congo ? Sont-ils mieux gérés que le Congo ? Sont-ils mieux organisés que le Congo ? Leurs médecins n’ont-ils pas les mêmes compétences, qualités et connaissances médicales que les médecins congolais ? Autant de questions dont les réponses évidentes laissent perplexes les congolais.

Depuis 1986, c'est-à-dire, plus d'un quart de siècle, des projets ont fusé pour la mise en place d’une unité d’hémodialyse au CHU de Brazzaville. Tous ont été étouffés dans l’œuf, faute d’une vision globale à court et à long terme. A vrai dire, ce ne sont ni plus ni moins que des gesticulations, des singeries. A force de singer, on finit par tomber lourdement très bas. Mon pays y est, sur le plan de la santé de la population. Pourquoi singer ? Pourquoi ? Pour amuser la galerie ? Quelle galerie ? Celle constituée par la population qui souffre ou celle de la classe politique qui a pour vocation de tergiverser ? A ces tergiversations, on pourrait opposer les initiatives privées comme alternatives à la prise en charge des patients insuffisants rénaux chroniques. D’emblée, les associations européennes rechignent à aider une quelconque association congolaise à ouvrir un centre de dialyse. Le Congo ne fait pas partie de pays « prioritaires », entendez par ce terme, pays pauvres nécessitant d’une aide associative dans ce domaine. C’est ce qui m’a été "balancé" quand j’ai entrepris une démarche dans ce sens. Reste les cliniques privées. C’est l’alternative la plus risquée et la plus injuste, compte tenu du contexte social et économique du Congo. La séance de dialyse serait hors de prix pour les uns et accessible aux autres, les riches par exemple. D’où inégalité et injustice devant le même problème de santé publique.

Il existerait une solution, à condition que l’Etat joue le modérateur des prix de consommables et autres dispositifs médicaux, ainsi que du coût de la séance. En Côte D’Ivoire, par exemple, la séance de dialyse revenait à 120.000FCFA (180 €) auparavant ; aujourd’hui, la séance ne coûte que 80.000 FCFA (120 €). Au Mali, pays bénéficiant de centres privés associatifs, la séance de dialyse reviendrait à 15.000 F CFA (22,5 €). Qui des gestionnaires de cliniques privées est prêt à concéder de telles offres, sans l’aide de l’Etat ? Selon une source d’information, la séance de dialyse au Congo coûterait 500.000 FCFA (750 €), c’est-à-dire, plus de deux fois et demi plus cher que dans une clinique privée française où la séance coûte en moyenne 293,86 €. On peut comprendre que les privés n’ont pas d’autres alternatives que de fixer ces prix paraissant excessifs, mais conformes au contexte socio-économique du milieu congolais. PIB ou richesse nationale du Congo oblige ! Quoi qu’il en coûte à l’Etat, la population attend des solutions concrètes à ses problèmes de santé. En attendant, la morgue de Brazzaville, proclamée unilatéralement par son maire comme une des meilleures morgues du monde, continue comme l'éternelle mort à accomplir sa macabre besogne. La mort de l'être humain ou du citoyen semble être malicieusement privilégiée et considérée comme un investissement qui rapporte gros.

Dans les prochains articles, je ferai allusion aux principaux déterminants de l’insuffisance rénale chronique et du dépistage. Solidairement votre.

Docteur Gabriel MADZOU,

 Epidémiologiste